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Le webzine de l'automobile allemande et son économie par La Relève.

L'insolente réussite allemande

L'insolente réussite allemande

"L'Allemagne était l'homme malade de l'Europe, elle est aujourd'hui guérie. Elle était réputée irréformable, elle a su se réformer." Cette phrase prononcée par Gerhard Schröder, ancien chancelier allemand, lors de l'université d'été du Medef le 31 août dernier, donne le ton. L'Allemagne, en difficulté au tournant de l'an 2000, a su changer, rebondir, pour être plus que jamais la première puissance économique de l'Europe. Et l'ex-chancelier est d'autant plus légitime que c'est sous sa gouvernance que l'impulsion du changement a été donnée. Le 14 mars 2003, précisément, lors d'un discours fleuve présentant l'Agenda 2010 devant le Bundestag. Et, naturellement, l'industrie automobile du pays, qui est l'un des piliers de l'activité et des exportations avec l'industrie de la machine-outil, a suivi la même trajectoire. A l'exception d'Opel, les autres constructeurs que sont le groupe Volkswagen, Porsche (aujourd'hui intégré au géant de Wolfsburg), Mercedes et BMW ont largement participé au renouveau allemand. Mais le succès des constructeurs allemands ne doit pas seulement être analysé sous cet angle macroéconomique lié aux réformes structurelles de l'Etat fédéral. En effet, même si les réformes des retraites, de la santé et du marché du travail, initiées par Gerhard Schröder, peuvent être considérées comme des leviers essentiels et préalables, la croissance des ventes, la rentabilité ou l'internationalisation des constructeurs allemands sont les fruits de choix stratégiques et internes à chacun d'entre eux.

Les clés du succès ? "Ce qui est fondamental pour un constructeur automobile, c'est de concevoir des véhicules qui exercent un pouvoir de fascination sur les clients. Cela peut sembler banal, mais c'est plus vrai que jamais lorsque les temps sont difficiles, comme actuellement", expliquait en 2009 Martin Winterkorn, le président du directoire du groupe Volkswagen. Ce dirigeant, également ingénieur - cette double casquette étant l'une des forces de l'automobile allemande, selon Matthias Wissmann, le président du VDA, le CCFA d'outre-Rhin (Voir son entretien ci-dessous) -, place le produit au centre de tout. Certes, l'outil industriel, le personnel, le marketing, les réseaux, etc., tout a une place dans le succès, mais l'essentiel reste le produit. Les investissements consentis pour leur développement en témoignent d'ailleurs largement. Puis, plus anecdotique, mais symptomatique de la vision de l'automobile des deux côtés du Rhin, en Allemagne, les jeunes ingénieurs ne visent que les constructeurs automobiles. En effet, ils sont leur premier choix. Nous sommes loin de cela en France. Il y a donc une véritable passion pour l'automobile, et elle le rend bien car les véhicules "made in Germany" ont la cote dans le monde entier, les usines allemandes ayant produit 12,9 millions des 66 millions de véhicules particuliers (80,3 millions toutes catégories de véhicules) qui ont été assemblés sur la planète en 2011. Cela représente une croissance de 11,5 % par rapport à l'année précédente. Certes, la progression est plus forte dans les usines "extérieures" avec 16,8 % de gagnés (7,1 millions d'unités produites), mais les sites allemands ne sont pas en reste avec 5,8 % de mieux, leur permettant de toucher la barre des 6 millions avec 5,87 millions d'unités. Un record. Et sur ces 5,87 millions, plus de 77 %, c'est-à-dire 4,5 millions (+ 6,6 %), ont été exportés. Là encore un record malgré des coûts salariaux relativement élevés et un euro aussi fort qu'en France !

 

Les moyens de leurs ambitions

Dans le même temps, la production française n'a connu que la décroissance, à l'image du pays, qui vient d'ailleurs de sortir, pour la première fois, du Top 20 des pays les plus compétitifs du Forum économique mondial. PSA et Renault n'ont en effet produit, en 2011, que 1 678 317 VP en France alors que leur production totale de VP avait dépassé 5,6 millions d'unités en 2011, 3,16 millions par PSA et 2,44 millions par le groupe Renault. Le "fabriqué en France" se limite donc à 29,9 % de la production totale alors que ce ratio atteint 45,2 % en Allemagne. Et qui plus est en produisant des produits à forte valeur ajoutée. Ce dernier point expliquant également les résultats financiers des constructeurs d'outre-Rhin. C'est d'ailleurs sur ce volet financier que les Français ne peuvent rivaliser. Voici un bref rappel des résultats affichés en 2011. La palme des bénéfices revient au groupe Volkswagen avec un résultat net de 15,799 milliards d'euros ! Vient ensuite Daimler avec 6,029 milliards et BMW avec 4,9 milliards. Dans le même temps, PSA réussissait à atteindre 1,13 milliard et le groupe Renault 2,14 milliards, dont 1,33 provenait toutefois de sa participation dans Nissan. Depuis, le bilan des
Français s'est nettement dégradé puisque PSA a dévoilé une perte de 819 millions pour le premier semestre 2012 et Renault a vu son bénéfice net fondre de 39 %, à 786 millions. Quant au Allemands, ils ne connaissent toujours pas la crise puisque le groupe de Wolfsburg a affiché un pharaonique résultat net de 8,8 milliards sur ce premier semestre, reléguant BMW très loin avec "seulement" 2,6 milliards. Les Allemands ont donc les moyens de leurs ambitions, comme en témoigne le plan d'investissements de Volkswagen, d'ici à 2016, qui dispose d'une enveloppe de 76,4 milliards !

Partage et flexibilité au c?ur de l'outil industriel

En plus de 14 milliards exclusivement destinés à la Chine (financés par les JV de Volkswagen en Chine avec FAW et SAIC), le constructeur va lui-même apporter 62,4 milliards afin de moderniser ses installations et développer de nouveaux produits. Au sujet des investissements dans les moyens de production, Martin Winterkorn avait rappelé que 57 % des 49,8 milliards qui y sont consacrés seraient destinés à l'Allemagne. La production germanique a donc de l'avenir à l'heure où nombre d'analystes envisagent entre 5 et 10 fermetures d'usines en Europe pour régler le problème des surcapacités. Parmi ces investissements, il y a aussi et surtout un travail colossal sur les plates-formes. Au moment où de nombreux constructeurs commencent à tirer de réels bénéfices de l'utilisation de plates-formes communes, Volkswagen prend une nouvelle longueur d'avance. En effet, après les plates-formes puis les modules communs, initiés par Ferdinand Piech, le constructeur a lancé une révolution invisible avec l'arrivée d'une nouvelle génération de plate-forme baptisée "MQB" (pour les véhicules à architecture à moteur transversal). Cette nouvelle arme, que viennent d'inaugurer la nouvelle Audi A3 et la Golf 7, sera utilisée pour la grande majorité des modèles du groupe, de la Polo à la Passat en passant par le Touran et le Tiguan ainsi que tous leurs équivalents chez Audi, Seat et Skoda. L'effet volume va donc jouer à plein, mais en plus de réduire le poids des véhicules tout en proposant plus de contenus technologiques au client, elle va permettre à Volkswagen de réduire de 20 % le coût unitaire de chaque produit. Puis, comme une bonne nouvelle n'arrive jamais seule, elle permet aussi d'améliorer l'efficacité de l'outil industriel avec encore plus de flexibilité sur les chaînes. Et ce souci d'efficacité et de rationalisation touche également les deux nouvelles familles de mécaniques essence et Diesel qui seront associées à cette plate-forme MQB. Volkswagen n'a donc pas fini d'afficher des résultats financiers hors normes.

Une internationalisation sans failles

Ces sommes sont impressionnantes et à mille lieues des standards français. A titre de comparaison, l'Alliance Renault-Nissan a investi 4 milliards d'euros dans le développement de ses véhicules électriques quand Audi compte sur 10 milliards pour moderniser et élargir sa gamme. Ils ne jouent simplement pas dans la même cours, aujourd'hui. Oui, aujourd'hui, car l'industrie automobile allemande n'a pas toujours été à ce niveau et Audi demeure LE cas d'école de ses trente dernières années. Développement de la gamme, contenu technologique, internationalisation, image de marque, rien n'a été oublié pour en faire ce que l'on appelle une marque premium. L'un des constructeurs français aurait-il pu suivre la même trajectoire ? Sans doute. Pour en avoir discuté avec un allemand connaisseur de l'industrie automobile, Citroën était - et demeure à ses yeux - la marque qui avait - et a - le plus gros potentiel. La marque aux chevrons a d'ailleurs fait évoluer sa position, notamment avec la gamme DS, mais il faudra encore des années pour véritablement juger cette évolution nécessaire, voire même impérative dans un univers automobile où les généralistes voient leur champs d'action sans cesse réduit entre low cost et premium. Renault semble pour sa part avoir choisi, avec une certaine réussite, l'univers du low cost avec sa gamme Entry (Dacia ou Renault, selon les pays), qui est d'ailleurs la plus rentable avec 6 % de marge. Mais quel que soit le choix, les deux Français doivent aussi et surtout accélérer et ancrer leur internationalisation. Si Renault, pris dans le contexte de l'Alliance avec Nissan, a de belles cartes à jouer, la marque au losange seule demeure en revanche trop européenne, et est appelée à connaître de vraies difficultés si les efforts déployés au Brésil, en Russie ou en Inde ne payent pas rapidement. Quant à PSA, si l'internationalisation est en marche depuis des années, quel dommage que sa stratégie chinoise ait été mauvaise. En effet, Citroën a débarqué en Chine voilà plus de vingt ans, mais n'a finalement pas ou peu profité du boom économique du pays. Seulement 230 634 modèles frappés des chevrons ont pris la route en 2011. Le groupe Volkswagen, certes présent depuis plus de vingt-cinq ans, a lui écoulé dans le même temps 2,2 millions d'unités grâce à Volkswagen, Audi et Skoda. Audi étant même devenue la marque premium référence en Chine devant ses éternels rivaux, BMW et Mercedes. PSA a changé son fusil d'épaule, revu sa gamme, restructuré son réseau, envoyé la marque au lion et la ligne DS à la rescousse afin d'atteindre 2 millions de ventes à l'horizon 2020. Cela va demander beaucoup d'investissements, mais la Chine, aussi importante soit-elle, doit également laisser des moyens et des hommes pour d'autres défis comme la Russie ou l'Amérique du Sud. Cette internationalisation est l'une des plus grandes forces des constructeurs allemands dans ce monde globalisé. Ils sont ainsi capables d'aller chercher de la croissance aux quatre coins du monde quand l'Europe est en panne. Et l'Europe est en panne, sans doute pour un moment.

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"Nous avons réussi à faire baisser le coût unitaire au cours de ces dix dernières années"
Matthias Wissmann, président du Verband der Automobilindustrie (l'équivalent allemand du CCFA en France)


Qu'est-ce qui fait aujourd'hui la force de l'industrie automobile allemande ?
L'un des points qui explique cela est que, pendant les années de crise, nous n'avons jamais réduit les budgets de recherche et développement. De ce fait, nous sommes aujourd'hui capables de proposer, à l'échelon mondial et sur l'ensemble des segments, les véhicules les plus efficaces.

Pourtant, au tournant des années 2000, l'industrie automobile allemande était en difficulté. Quelles sont les raisons qui expliquent cette métamorphose ?
Nous avons effectivement connu une phase de faiblesse à la fin des années 90, mais nous avons la chance de pouvoir compter sur des dirigeants également ingénieurs qui ont une vraie passion pour le produit automobile. C'est-à-dire des personnes qui ne se focalisent pas sur un rapport financier trimestriel, mais qui poursuivent une perspective de long terme.

Est-ce que les différentes décisions gouvernementales, notamment au regard du droit du travail, ont eu un rôle important dans ce redressement ?
Les décisions politiques ont effectivement aidé lors de la dernière crise en 2008-2009, notamment avec la mise en place du chômage partiel qui a permis de préserver les effectifs. Mais il y a ici une différence importante entre la France et l'Allemagne car, dans notre pays, personne ne croit que l'Etat est en mesure de résoudre les problèmes à long terme. L'Etat peut jeter des ponts pour assurer une transition, mais l'innovation doit venir de l'industrie.

En France, il y a un débat récurrent sur le coût du travail, jugé trop élevé, qui pénalise notamment à l'exportation. Quel regard portez-vous sur cette question ?
Vous abordez ici le point crucial de la dernière décennie. En Allemagne, le coût du travail, les salaires, sont tout aussi élevés qu'en France, voire même peut-être plus hauts. Mais en Allemagne, grâce à une coopération forte entre les syndicats et les entreprises, nous avons réussi à faire baisser le coût unitaire au cours de ces dix dernières années. La France, mais aussi d'autres pays d'Europe, doivent travailler sur ce point pour regagner de la compétitivité.

 

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